vendredi 2 janvier 2015

Bateson et L'École de Palo Alto

L'École de Palo Alto (du nom de la ville de Palo Alto en Californie), regroupe des chercheurs d'horizon très différent, réunis autour du psychologue Gregory Bateson dans les années 1950. Ses travaux ont eu de grandes répercussions dans des domaines aussi variés que la psychologie, la psychosociologie, les sciences de l'information et de la communication (en particulier la cybernétique). Dans le domaine de la psychosociologie qui nous intéresse plus particulièrement, ce courant est à l'origine de la thérapie familiale et de la thérapie brève. Cette dernière en réaction contre les psychothérapies qui duraient plusieurs années.

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      Gregory Bateson          Sa femme Margaret Mead               Virginia Satir

Gregory Bateson réunit peu à peu autour de lui des scientifiques comme Norbert Wiener (le père de la cybernétique), John von Neumann ou Claude Shannon, mais aussi sa femme, l'anthropologue Margaret Mead, les anthropologues Ray Birdwhistell et Edward T. Hall, le médecin Albert Scheflen, le sociologue Erving Goffman et le psychiatre Donald D. Jackson.
L'équipe sera rejointe par plusieurs chercheurs qui joueront un rôle important dans l'évolution de L'École de Palo Alto comme Virginia Satir à l'origine du concept de thérapie familiale ou Paul Watzlawick sur la psychothérapie et la thérapie brève.

Milton Erickson et Gregory Bateson.  Photo issue de la Milton Erickson Foundation.  Erickson & Bateson

Gregory Bateson va être à l'origine du concept de "double contrainte" qui allie deux contraintes opposées où l'obligation qu'elles contiennent implique une interdiction de l'autre, ce qui constitue apparemment un dilemme insurmontable. On rencontre cette situation aussi bien dans la famille quand des parents divorcés exigent des enfants qu'ils choisissent un lien exclusif (demandes oppressantes et contradictoires), que dans la communication, par exemple dans l'expression « Soyez spontané ! » qui contient en lui-même sa propre contradiction et qu'on connaît sous le nom de langage paradoxal.

                

Interaction et psychiatrie

L'École de Palo Alto envisage la psychiatrie comme « l'étude du comportement interpersonnel . Pour comprendre une personne, ce qui la fait agir, on ne peut l'isoler de son milieu, de son réseau complexe de relations interpersonnelles qui irrigue son quotidien.

Elle débouche sur la remise en question des fondements de la psychiatrie, en particulier de la validité d'une classification des maladies (ou nosographie) à se vouloir universelle. Elle a surtout mis en lumière les effets indésirables -ou en tout cas qui doivent être pris en compte comme paramètres à part entière- produits par les chercheurs eux-mêmes de part leur influence sur les patients en thérapie ou les individus en pédagogie et en psychosociologie. On peut citer à cet égard l'Effet Pygmalion en pédagogie qui désigne l'influence d'hypothèses sur l'évolution scolaire d'un élève et sur les aptitudes de celui-ci ou l'expérience de Paul Watzlawick, une confrontation entre deux psychologues qui montre le danger des diagnostics péremptoires en psychiatrie.

      
Paul Watzlawick            Jay Haley             Robert Dilts         Heinz von Foerster

Les thérapies familiales
Elles  partent du principe (systémique) que c'est toute la cellule familiale qui est concernée et que l'aide apportée à un patient, pour être vraiment efficace,  ne peut se faire "ex nihilo", en-dehors de toute référence à son environnement social et familial.

Ces pratiques pour favoriser les prises en charges collectives, émanent  des travaux de L'école de Palo-Alto, qui sur la communication au sein de la famille. Ils ont débuté  aux États-Unis vers 1960 avec la théorie du trouble de la communication de Gregory Bateson, basée sur le concept de "double contrainte" (voir ci-dessus) puis notamment par Virginia Satir.

    

Dans cette thérapie, les troubles psychologiques et comportementaux du membre d'un groupe sont considérés comme symptomatique des problèmes de dysfonctionnement dudit de ce groupe. Ce qui signifie un traitement du groupe en son entier et une participation active de tous ses membres à l'élucidation de leurs relations. Outre les difficultés liées au volontariat de chaque membre, il faut aussi lever les non-dits qui vicient tout relation et explorer les mythes familiaux, ces croyances sur les qualités supposées du groupe, éléments sélectifs transmis par la mémoire familiale, histoire recomposée par les générations, gratifications inconscientes qui se paient de la souffrance d'un membre du groupe. 

Les thérapies dites brèves
Basées sur les travaux de Geegory Bateson et de Milton Erickson puis reprises par Paul
Watzlawick et Heinz von Foerster qui disait "Agis de cette manière à toujours augmenter le nombre de choix possibles ", elles  se veulent pragmatiques et orientées vers la résolution de problème. [1]

Résoudre rapidement et efficacement des problèmes psychologiques, tel est l'objectif affiché par la thérapie brève. Ses emprunts sont assez larges, allant de la rhétorique grecque de la persuasion aux pratiques récentes de la suggestion et l'hypnose avec Erickson, de l'épistémologie dans un sens constructiviste (voir ci-dessous)

La pratique consiste  à défaire l'édifice pathologique répétitif et fermé où le patient a construit sa réalité, en vue d'améliorer son état psychologique et repose sur les principes suivants :
- Une action centrée sur le présent qui met en exergue le mécanisme qui fait que le problème perdure;
- Une logique circulaire (ou systémique) qui fait qu'une cause produit un effet qui en rétroaction agit à son tour sur la cause...
- Une approche paradoxale du genre « Le problème, c’est la solution » visant à élaborer d'autres scénarios pour débloquer la situation;
-Une thérapie systémique qui prend en compte tout l'environnement de la personne;
-La participation active du patient qui a des tâches concrètes à réaliser entre les séances, lui permettant de vivre des expériences émotionnelles et cognitives qui soient constructives et auto-correctrices;
- Un processus non normatif où il n'y a nul a priori, ni coupable, ni victime, ni pathologie, ni jugement, ni référence normative.

Le constructivisme

L'autre grand apport de L'École de Palo Alto concerne ce qu'on appelle le constructivisme, système d'approche de la connaissance reposant sur l'idée que notre image de la réalité émane de l'esprit humain en interaction avec cette réalité, et non de la réalité elle-même, et n'en est donc pas le reflet exact.

Si en 1976, Heinz von Foerster aborda la question de la portée des fondements du constructivisme sur la psychothérapie, c'est Paul Watzlawick qui développa ce thème dans son livre "La Réalité de la réalité" paru aux éditions du Seuil en 1978. [2]
Il distingue deux niveaux de réalité, l'une  de premier ordre, « expérimentable, répétable et vérifiable », l'autre reposant sur des conventions, des significations. Pour prendre des exemples simples, les propriétés physiques disent rien de la valeur boursière qu'on lui attribue à tel ou tel moment. De même, on peut voir un panneau bordé de rouge sans connaître la signification donnée par le code de la route. La réalité concrète ne renseigne aucunement sur leurs attributs, « ne dit rien de la signification ni de la valeur de son contenu ».

L'influence de la cybernétique

Cette influence repose sur la notion de système qui renvoie à à un environnement et à un contrôle en retour de ce qui a été transmis (le feedback ou rétroaction). l'intervenant-thérapeute ne voit plus son patient comme quelqu'un d'isolé sur qui poser un diagnostic clinique mais prend en compte toutes les interactions auxquelles il est soumis.



Il s'intéresse au maintient des grands équilibres qui stabilisent la personne, à la façon dont le système réalise son homéostasie. On passe du linéaire et diachronique au systémique, circulaire et synchronique. C'est une autre approche qui demande un autre état d'esprit et l'assimilation de nouvelles techniques.

L'autre aspect de la cybernétique qui a largement influencé les pratiques thérapeutiques est la question de savoir ce qui se passe dans un système loin de son point d'équilibre, par exemple celle de l'intervention du thérapeute quand le patient est en difficulté, voire en crise. Dans cette perspective, la crise est vécue comme un moment clé de l’intervention, on  ne craint plus de travailler dans l’urgence, sans passer par une phase où il fallait "apaiser la souffrance", on en profite au contraire pour rechercher un nouveau point de stabilité, un nouvel équilibre homéostatique.

Sous l'égide de Heinz von Foerster,l'intervenant n'est plus "à l'extérieur" mais partie prenante dans la relation, on évalue dans quelle mesure il reste neutre, il influe sur la relation , il interfère sur les réactions de son patient ou de son interlocuteur.

Notes et références
[1] Thérapies brèves, principes et outils pratiques, Yves Doutrelugne, Olivier Cottenciné, Julien Betbèze, éditions Elsevier-Masson, 256 pages, 2013
Voir aussi Stratégie de la thérapie brève, sous la dir. de Paul Walzlawick et Giorgio Nardone,290 pages,  Le Seuil, 2000
[2] Voir aussi L'invention de la réalité, Contributions au constructivisme sous la direction de Paul Watzlawick, avec des articles de Heinz von Foerster et Ernst von Glasersfeld, Le Seuil, 1985

Voir le site Psychosociologie-Pédagogie : Relations humaines   

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