samedi 27 décembre 2014

Pouvoir et Manipulation

Notion de pouvoir et formes de manipulation

La relation est étroite entre Pouvoir et Manipulation, pour le prendre, le consolider ou le conserver, d’autant plus étroite que le pouvoir est faible et qu’il doit s’appuyer sur un corpus de techniques qui lui permette de se renforcer, s’inscrivant dans la longue dynamique des relations humaines. Cette étude est surtout basée sur les travaux des psychosociologues français Dominique Chalvin et Roger Mucchielli.
     
1- Présentation générale

tumb  Pouvoir et manipulation

La manipulation, quelle qu’elle soit, s’inscrit toujours dans un processus de communication, de relations humaines, qu’elle soit de type dual, groupal ou collectif. L’idée centrale est d’exercer une influence sur autrui, non par ascendant ou par recours à l’argumentation, mais par des moyens considérés comme immoraux, sans respect de la personne, à travers une mentalité dominée par le cynisme. La manipulation est ainsi une tentative d’exercer sans partage un pouvoir sur une personne, un groupe ou une structure ; elle s’appuie sur une relation déséquilibrée de type gagnant-perdant.
 
Bien que certains considèrent des aspects positifs dans la manipulation, [1] elle sert normalement, de façon détournée et malhonnête, à circonvenir la confiance d’autrui. [2] Les techniques de manipulation, si elles peuvent être assez brutales dans la violence psychologique et les formes aiguës de harcèlement, se pratiquent le plus souvent "sous le manteau", à visage couvert, et ont comme caractéristique que les objectifs annoncés, officiels, cachent en fait des objectifs secrets, soigneusement dissimulés. Ceci est d’autant plus important qu’une certaine culture d’entreprise veut qu’on encourage la ruse, le "système D" pour contourner les règles et valoriser la volonté de domination.[3]
 
Cette volonté s’exprime dans les relations par un désir inextinguible de domination de la part d’autocrates domestiques ou professionnels dont les actions révèlent des attitudes archaïques qui ont été analysées par des psycho sociologues comme Lewin, Lipitt ou Whyte et peuvent revêtir de formes névrotiques d’autocratisme comme l’a montré Juliette Favez-Boutonier dans son ouvrage "Les défaillances de la volonté". [4] 

2- Les fondamentaux de la manipulation
 
tumb La manipulation dans Les liaisons dangereuses
 
21 § Faire courir des bruits et des rumeurs, laisser sous-entendre sans rien affirmer, utiliser mensonges et demi-vérité pour instiller la méfiance entre les gens. [5]
 
22 § Faire en sorte de dévaloriser l’autre, surtout s’il manque d’assurance, user sa confiance jour après jour en le plaçant en porte-à-faux, mettre en cause ses compétences et sa personne, en le transformant en "vilain petit canard". Ces méthodes peuvent conduire à une véritable persécution ponctuée d’une période plus ou moins longue de harcèlement. [6]
 
23 § Modifier l’information pour n’en reprendre que certains aspects, en exagérer la teneur, la caricaturer ou piper son sens. Il s’agit d’abord de prêcher le faux pour connaître le vrai, de faire de veines promesses ou créer de toute pièce des malentendus.
 
24 § Offrir un beau visage, être avenant pour mieux pervertir et présenter une image de soi qui rassure l’autre, lui faire croire qu’il peut compter sur celui qui prétend être son ami. Cette séduction tactique peut aller jusqu’à travestir leurs sentiments ou leurs opinions pour mieux agir sur les autres et influencer leurs opinions. [7]
 
25 § Jouer les victimes, se faire plaindre pour que tous ceux qui sont choqués de la situation deviennent des alliés prêts à la dénoncer. Le pouvoir par la victimisation revêt trois formes essentielles : "les surmenés" au jugement négatif sur la situation et les relations, "dépassés" qui s’arrangent pour que leurs difficultés soient ‘de la faute des autres’, "les pessimistes" qui estiment que rien n’est possible. Si ces comportements existent dans d’autres situations et donnent souvent lieu à des jeux psychologiques pervers, ils sont aussi utilisés comme moyens de manipulation. [8] 

3- Champ d’application de la manipulation
 
tumb Le pouvoir dans les organisations d'après Mintzberg
 
Si le territoire de la manipulation est d’autant plus large qu’il concerne toutes les formes de relations humaines, il se concentre en fait dans trois domaines privilégiés.
 
31 § La relation duale, quand cette relation se détériore au point de susciter des comportements déviants mettant en jeu provocations et manœuvres, [9] pouvant aller jusqu’à ce qu’on appelle en Analyse transactionnelle "la relation victime-bourreau" pouvant parfois déboucher sur une relation perverse de type sado-masochiste.

32 § La dimension collective d’un comportement de pouvoir. Si on la rencontre surtout dans les conflits de concurrence visant une promotion ou une prise de pouvoir, elle sévit aussi largement en matière politique et plus généralement dans les relations de domination, d’ascendant sur une personne ou un groupe. L’une des meilleures illustrations en est donnée par l’ouvrage de Machiavel, "Le Prince", [10] sur le modèle du florentin Laurent de Médicis. Méthodes de manipulation pérennes depuis la Renaissance puisqu’elles n’ont rien perdu de leur actualité.

Derrière le personnage du Prince, on peut déceler des techniques de conditionnement des individus visant les mécanismes Milgram [12] dont le but était de mettre en lumière la relation à l’autorité et l’impact de la hiérarchie sur le comportement individuel. Dans cet exemple, la manipulation tient au fait que les enseignants cachaient soigneusement l’objectif réel de l’expérience –annonçant un objectif très général sur les mécanismes relationnels- et viciaient la relation avec la personne chargée de réagir aux ordres donnés. A aucun moment les étudiants participant à l’expérience n’ont pensé qu’ils pouvaient être trompés par ceux qui pilotaient l’expérience, autant parce qu’ils leur faisaient confiance que par respect du statut social dont les enseignants étaient a priori investis.

4- Typologie des techniques de manipulation
 
  Manipuler le langage

Parmi les multiples façons de manipuler, on peut retenir quelques types fondamentaux de moyens utilisés, caractérisés par leur impact et la simplicité relative de leur utilisation. Il faut aussi remarquer que les possibilités de manipulation sont d’autant plus aisées qu’elles s’adressent à des personnes en difficultés, que ce soit à cause de leur équation personnelle (manque d’assurance, peur, sentiment d’infériorité…) ou à cause d’une situation conjoncturelle délicate (deuil, stress…) [13] Cette catégorie de personnes est assez fragile pour être facilement traitée de bouc-émissaire ou confrontée aux menées de gourous et de sectes. [14]
 
41 § La persistance se manifeste par un comportement stéréotypé issu de modèles ou d’invariants, impossible –ou en tout cas très difficile- à remettre en cause, dont le manipulateur peut largement profiter.

42 § Le travail en profondeur consiste à se donner une image patiemment dessinée, pou r en tirer bénéfice, en devenant incontournable par exemple, indispensable dans un domaine d’expertise, de créer comme on dit en économie, un monopole. En fait, ce n’est pas l’expertise par elle-même qui importe mais ce que croient les autres. « La réalité est ce que l’on croit être la réalité, » perception qui facilite grandement la manipulation. [15]
 
43 § Innocence et culpabilité Mettre quelqu’un en mauvaise posture, surtout devant les autres, est un moyen manipulatoire très efficace qui joue sur la dévalorisation de la personne qui a tendance à se sentir mal à l’aise, à culpabiliser et à éprouver un sentiment de honte. [16] Ce résultat peut être obtenu de différentes façons ; par exemple en jouant sur les mots, en interprétant, voire en pipant des données chiffrées.
 
44 § Une autre technique consiste à abuser de la naïveté, de la crédulité de certaines personnes, les mystifier pour les utiliser à son profit ou pour créer des conflits artificiels au sein d’un groupe. [17] Elle permet à l’initiateur de se mettre à couvert, de se cacher derrière un tiers, et de "tirer les ficelles" sans se faire remarquer ou en faisant en sorte, en cas de besoin, si la manœuvre est éventée, de "faire porter le chapeau" à d’autres.
 
45 § La manipulation peut aussi atteindre une personne non pas directement mais de façon détournée, par des allusions sans rapport avec le sujet traité ou en mettant en cause non le travail accompli ou l’une de ses compétences, mais la personne elle-même, pour mieux la déstabiliser. [18]
 
Fichier:Brainwashing 1, acrílico sobre lienzo, 100 x 80 cms.JPG  Manipulation et coercition

Bibliographie

  • Frederik Herzberg, "Le travail et la nature de l’homme", éditions EME, 1974
  • R. Meiniez, "Pathologie sociale de l’entreprise", éditions Gauthier-Villars, 1965
  • AM. Rocheblave-Spenlé, "Le pouvoir démasqué", éditions Universitaires, 1974
  • Dominique Chalvin, "Du bon usage de la manipulation", ESF, 2003, 3ème édition, isbn 2-7101-1474-7
  • G. Thomas, "Enquêtes sur les manipulations mentales", Albin Michel, 1980
  • I. Nazarre-Aga, "Les manipulateurs sont parmi nous", éditions de l’Homme, 1999
  • A. Cardon, "Jeux de manipulation", éditions d’Organisation, 1995
  • Alex Mucchielli, "Les réactions de défense dans les relations inter-personnelles", ESF, 1978
  • R. Cialdini, "Influence et manipulation", éditions First, 1990
  • La désinformation arme de guerre, textes de base présentés par Vladimir Volkoff, éditions L'Age d'Homme, collection Mobiles politiques, nov. 2004, 279 pages 

Voir aussi

Mes fichiers sur la psychosociologie

Notes et références

  1. ↑ RV Jouve & JL Beauvois, "Petit traité de la manipulation à l’usage des honnêtes gens ", PUG Grenoble, 1987
  2. ↑ P Raynaud, "L’art de manipuler", Ulrich, 1993
  3. ↑ Voir "Storytelling, La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits", Christian Salmon, 2007
  4. ↑ Voir Roger Mucchielli, "Psychologie de la relation d’autorité", exposé 1 Psychopathologie de la relation d’autorité, pages 12 et suivantes, ESF
  5. ↑ Voir Dominique Chalvin, "Analyse transactionnelle et relations de travail", exposé 5, Les transactions cachées, discours officiel et réalité, pages 64-66, ESF
  6. ↑ Voir Boris Cyrulnik, "Un vilain petit canard", Odile Jacob, 2001
  7. ↑ Voir Roger Mucchielli, "Opinions et changement d’opinion", exposé 4 Les techniques de changement forcé, pages 70 et suivantes, ESF
  8. ↑ Voir Dominique Chalvin, "Analyse transactionnelle et relations de travail", exposé 7, Comment traiter les stratagèmes et les conflits ?, pages 77 et suivantes, ESF
  9. ↑ Voir Roger Mucchielli, "Psychologie de la vie conjugale", ESF, 4ème édition
  10. ↑ Machiavel, "Le Prince", éditions Flammarion, 1980
  11. ↑ Voir Conditionnement et déconditionnement, Watson, ainsi que le Behaviorisme
  12. ↑ Stanley Milgram, "Soumission à l’autorité", éditions Calmann-Lévy, 1995
  13. ↑ Voir C. André & F. Leford, "L’estime de soi", Odile Jacob, 1999
  14. ↑ Voir Roger Mucchielli, "Les complexes personnels", éditions ESF
  15. ↑ Paul Watzlawick, "La réalité de la réalité", édition Le Seuil, 1978
  16. ↑ Voir S. Tisseron, "La honte", éditions Dunod, 1992
  17. ↑ Voir "Gérard Laborde, Confiance en soi et assertivité", InterEditions, 1996
  18. ↑ Dominique Chalvin, "Du bon usage de la manipulation", chapitre I, pages 13 à 34
 * Synthèse sur le site Psychosociologie-Pédagogie : Relations humaines 
< Christian Broussas - P & M - Feyzin le 12/12/2012/  © • cjb • © >

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